Диссертация (1148644), страница 85
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Il est vrai que Benjamin se livre avant tout à une analysedes nouvelles techniques de l’image au XXème siècle, mais il parle toujours del’œuvre d’art, sous-entendant que ce développement concerne tout le phénomèneartistique. Pour l’œuvre d’art, Benjamin conclut qu’"en multipliant sareproduction, elle met à la place de son unique existence son existence en série et,en permettant à la reproduction de s’offrir en n’importe qu’elle situation auspectateur où à l’auditeur, elle actualise la chose reproduite". Ainsi desexemplaires du même bronze peuvent être présentés dans différents musées, où ils"actualiseront" l’œuvre qui ne perdra rien de son authenticité.Il est intéressant d’analyser les attitudes nuancées de certains sculpteurs sur lanotion de l’original et leur réception par le musée.
Comme beaucoup d’autressculpteurs, Jacques Lipchitz réalisa de nombreux modèles en plâtre et en terracotta pour ses sculptures en bronze. Parlant de ces modèles il dit que "these terracotta and plaster models are the prime of my inspiration, my only truly originalwork". Ce qu’il ressentait comme étant le seul vrai original n’était cependantqu’une étape dans un processus de travail menant au bronze, matière qu’il aimaitpour être "so alive, so direct, warm and fluid" (Lipchitz 1972 : 177). Le modèleétait ce qu’il y avait de plus proche de l’acte créateur, donc pour lui un vraioriginal, tandis que le bronze était un original issu et légitimé par le modèle.Исходный текст 18En 1987, j’acceptai la donation d’un important groupe de plâtres et de terra cottade Lipchitz pour les collections du musée d’art de Tel-Aviv.
La plupart desœuvres était des modèles, mais la donation comprenait également les plâtres dedeux grandes sculptures : "La joie de vivre" de 1927 et "Le chant des voyelles" de1931-32. La fondation Jacques et Yulla Lipchitz offrit d’autres groupes à la TateGallery de Londres, au Musée national d’art moderne, Centre Georges Pompidouà Paris ; au Rijksmuseum Kröller-Müller à Otterlo et à l’Art Museum del’université d’Arizona.
Ces plâtres et terra cotta reçurent ainsi une reconnaissancemuséale comme étant des originaux, ils ont une existence indépendante à côté des10Walter Benjamin, Gesamwelte Schriften, Band I.2, Suhrkamp, 1990, p. 709-739192bronzes et permettent au public de pénétrer dans les processus de travail dusculpteur, qui retravaillait souvent ses plâtres avant la fonte.Il y a bien sûr d’autres cas, en particulier celui de Rodin, qui aimait travailler sesplâtres "à la lime et à la queue-de-rat", selon les notes de René Cherry conservéesaux archives du musée Rodin. Mais le plâtre permit à d’autres artistes d’y laisserune empreinte plus personnelle, ce qui fut le cas avec la sculpture de Giacometti"Le nez", de 1947, dont le plâtre est au Kunsthaus de Zürich, alors que le bronzede Susse fondeur se trouve dans plusieurs collections, parmi lesquelles celle dumusée Ludwig de Cologne.
Le plâtre révèle davantage les traces du travail del’artiste tandis que le bronze est plus homogène. Cette différence est encoreaccentuée dans le plâtre "Tête sur tige", également de 1947, dont Giacometti adessiné la face, en particulier les orbites des yeux et la bouche béante, augmentantainsi le drame de la matière. De chacune de ces œuvres existent un original uniqueen plâtre et un original multiple en bronze. La notion de l’original a ainsi évolué ets’applique parfois à deux versions d’une même œuvre, elle s’est relativisée enfonction des pratiques des sculpteurs et de leur acceptation par les musées.
Quantaux bronzes, le sculpteur confie souvent le travail aux spécialistes du moulage etde la fonte et se contente de donner quelques instructions. Il doit bien sûrapprouver le travail terminé tout comme les héritiers ou ayant-droit de l’artistedevront approuver un bronze posthume, avec le souci de reproduire fidèlement leplâtre ou la cire.
Dès lors que les spécialistes de toutes les disciplines concernéesreconnaissent la parenté directe entre le plâtre d’origine ou la cire et le bronze, lemusée est en droit de les présenter comme des originaux.Исходный текст 19Sans entrer dans les détails du débat et avec toute la prudence requise, le muséen’a pas seulement le droit, il a aussi le devoir de présenter au public un éventaild’œuvres d’art originales aussi large que possible témoignant de la créativitéd’une époque donnée.Nous voici confrontés à nouveau à ce double regard du musée et l’exemplesuivant, même s’il ne concerne pas le bronze ou le bronze posthume, est pleind’enseignement par rapport aux dilemmes du musée qui est attaché d’une part àprésenter des œuvres originales, mais soucieux d’autre part à présenter unecontinuité de l’art.
Je veux parler des constructions tridimensionnelles réaliséesentre 1918 et 1921 par le grand artiste de l’avant-garde russe AlexanderRodtschenko. Ces œuvres, dont la conception fut très nouvelle, seront titrées parl’artiste "Constructions spatiales". En raison des limitations de l’époque,Rodtschenko ne put les réaliser en métal comme prévu et il utilisa du boiscontreplaqué qu’il peignit en blanc. Les "Constructions spatiales" furent exposéeset documentées photographiquement par l’artiste lui-même, mais elles n’existentplus, sauf l’une d’entre elles, qui appartenait à la fameuse collection Costakis.Avec l’accord de la famille Rodtschenko, des éditions limitées de quelques-unesde ces sculptures furent réalisées à partir de 1973.
Ces "Constructions spatiales"furent bien sûr définies comme des reconstructions. A partir de 1982, elles furentacquises pour la collection d’art russe du XXème siècle du musée Ludwig deCologne et sont documentées dans le catalogue de l’exposition "De Malewitsch àKabakov – avant-garde russe au XXème siècle, la collection Ludwig" quej’organisai en 1993 à Cologne.193Ces "Constructions spatiales" vinrent compléter un groupe d’œuvres originales deRodtschenko, parmi lesquelles la peinture "Noir sur noir" de 1918, c’est-à-dire dela même période, permettant ainsi une vue d’ensemble sur cette période crucialede son travail et sur le rôle proéminent qu’il joua dans le cadre du suprématisme etde l’avant-garde russe en général. A défaut d’originaux, ces reconstructionspermirent une visibilité spatiale et offrirent une meilleure compréhension de cettepériode de l’art abstrait en Russie, tout en soulignant la contribution majeure deRodtschenko à la sculpture du XXème siècle, en particulier avec ses constructionsspatiales géométriques suspendues, qu’il créa plus de vingt ans avant les"mobiles" suspendus de Calder.Исходный текст 20Rappelons aussi dans ce même contexte l’important modèle que Vladimir Tatlinréalisa au début des années vingt pour un "Monument de la IIIème internationale",dont l’original disparut dans la tourmente de l’époque.
Ce modèle, créationcapitale du XXème siècle, était amplement documenté par de nombreux dessinsen plans et fut photographié lors de sa présentation. A partir des années soixante,il fut l’objet de nombreuses reconstructions présentées dans des expositionsmuséales, entre autre au Moderna museet, Stockholm et au Centre GeorgesPompidou, Paris. La reconstruction de Dimakov fut présentée en 1993-94 enAllemagne puis à la Galerie nationale Tretiakov, Moscou et au Musée nationalrusse, St-Petersburg. D’énormes efforts furent engagés pendant des décennies, enparticulier par Dimitri Dimakov, pour que ces reconstructions soient aussi fidèlesque possible à l’original.Il est évident que les œuvres conçues par Rodtschenko et Tatlin n’étaient pasréalisées par la main de ces artistes et de ce point de vue, elles ne peuvent êtrecomparées aux bronzes qui reflètent le travail de l’artiste.
Mais par la volonté depréserver un patrimoine culturel, voir de le reconstruire, ainsi que le besoin derendre celui-ci visible à une large audience, leurs intentions sont les mêmes. Ils’agit de créer une mémoire visuelle et une réalité tactile de l’œuvre d’art. Lemusée va même jusqu’à présenter la reconstruction d’une œuvre d’art si celle-ciest le seul moyen qu’il a de présenter un moment important de la créationartistique. Si un bronze posthume a été accepté comme un original par lesspécialistes et si le musée l’estime important pour compléter sa collection, il peutenvisager de le présenter, surtout en l’absence d’un exemplaire produit pendant lavie de l’artiste.
Ce que le musée doit sauvegarder à tout prix, c’est l’intégralité del’œuvre d’art originale, et pour une reconstruction la plus grande précisionpossible.Le musée a parfois la chance de tomber sur un ensemble d’œuvres d’un artiste oùles problèmes évoqués ne se posent pas. Ce fut le cas de la collection Archipenkodu Musée d’art de Tel-Aviv. Elle avait été déposée comme prêt en 1933 par lecollectionneur Erich Goeritz, quand celui-ci fut obligé de quitter Berlin et seréfugia avec sa famille en Angleterre.
En 1955, la famille du collectionneur offritla collection au musée. Celle-ci comprenait 29 œuvres réalisées entre 1910 et1921, dont 5 sculptures en bronze, 4 en plâtre, 2 en terra cotta, et une en cire. Etbien sûr 9 sculpto-paintings.Исходныйтекст 21194Avec ma venue au musée, nous décidâmes d’exposer la collection Archipenko demanière permanente.
Il fut nécessaire de restaurer certaines œuvres et j’invitai en1977 Donald Karshan à faire des recherches qui furent publiées en 1981.L’origine de la collection put être retracée jusqu’à leur premier propriétaire, M. etMme G. Falk, qui l’acquirent autour de 1920.En 1986-87, nous organisâmes l’exposition "Alexander Archipenko – ACentennial Tribute" en collaboration avec la National Gallery de Washington, etcelle-ci fut présentée dans les deux musées.Pour notre part, nous n’avons pas dû nous occuper du problème des bronzesposthumes d’Archipenko, mais j’ai suivi de près les nombreuses discussions à cepropos et une de mes conclusions est que tout commence en général avec lespratiques des artistes eux-mêmes.
Celles-ci sont très variées, et c’est pourquoichaque cas doit être étudié dans ses détails avant d’arriver à une conclusion.Le musée reflète une double réalité ; celle de l’œuvre d’art unique (une peinture,une sculpture en pierre, un dessin), et celle de l’œuvre d’art multiple (unesculpture en bronze, une gravure, une photographie). Nous reconnaissons chacunede ces réalités comme des œuvres d’art originales. Les unes ne peuvent êtremultipliées où alors deviennent des copies, des reproductions et ne sont plusoriginales, tandis que les autres peuvent être multipliées mais risquent parfois deperdre leur statut d’original si leur intégrité n’est pas préservée, ce qui arriveparfois avec les productions posthumes. Avec toutes les nouvelles techniques dereproduction, les œuvres d’art de l’avenir seront de plus en plus multipliées et ilest important que ces pratiques soient étudiées sérieusement et scientifiquement etque des règles très précises soient fixées pour empêcher des phénomènesremettant en cause l’originalité des œuvres.